15/10/2013
Extrait long LE FLAMBOYANT (Petite enfance en Haïti) éditions L'Harmattan.
Petit-Goâve 1979.
Quartier de la Petite Guinée
16 décembre 2007
Il pleut ce samedi matin. Une de ces pluies diluviennes qui tombent rarement en cette saison. Le marché est forcément désert puisqu'il a lieu pratiquement en plein air. A la rue Saint Paul, on a, malgré tout, le paysage habituel : Une caravane de boeufs monte à Port-au-Prince. J'entends dire qu'ils viennent du Sud du pays, plus précisément de Port Salut et de Charbonniers. Ces huit boeufs sont accompagnés par trois personnes qu'on appelle des maroulés. Le voyage dure plusieurs jours. Les maroulés dorment au bord de la route avec les bêtes et gagnent chacun deux dollars par animal conduit à bon port.
A la rue Lamarre, il n'y a vraiment personne. Seules les rigoles déversent en abondance ce torrent d'eau et de boue qui passe sous les ponts, en direction de la mer, et qu'on appelle : lavalas. Les chantiers navals marchent à fond. En effet, avec du papier journal que nous conservons soigneusement pour cet usage, nous construisons, à tour de bras, des bateaux, des petits, des moyens, des grands. Et nous les mettons à l'eau par flotte de six à sept, le bateau-amiral en tête. Même notre plus petite soeur, Flore, est embauchée pour l'opération de lâchage. Et nous essayons de les suivre dans leur cheminement. Parfois même, nous les accompagnons jusqu'à l'entrée des Casernes, en sautant d'une galerie à l'autre. Odilon, ses grandes soeurs Armelle et Fréda, font souvent de même en aval ou se contentent de contrôler le déroulement des opérations sur leur galerie.
En attendant le beau temps, revigorés par notre commune entreprise, nous nous racontons des histoires sans queue ni tête. Je n'arrête pas de parler. Nous jouons à "Ti ciseaux dorés, lait caillé pété, pété senti, pouf." Je suis le maître de jeu, je m'arrange pour que le "pouf" tombe sur une des petites qui proteste quand le lui dis d'arrêter de faire des pets. Je leur raconte l'histoire des trois frères qui sont devenus riches : le premier est médecin, le second pharmacien et le troisième entrepreneur de pompes funèbres. Je parle de cet énergumène qui, assis, couché, à plat ventre, sur le dos, lit, à la lueur d'une lampe éteinte, un journal non imprimé. Le point d'orgue c'est quand le me mets à chanter tarlatane :
"Tarlatane, ou-même qui en bas rade ça ou ouè ? You ti grand moune diol rose bab noi, toi qui es sous les robes, que vois-tu ? Une petite vieille à la bouche rose et à la barbe noire."...
15:14 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
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